Un petit quelque chose en plus ! (2/2)
La semaine dernière, vous avez découvert la première partie du portrait que nous consacrons à la cavalière covassonne Flore Espina. Expatriée dans le sud de l’Espagne depuis l’âge de 19 ans, la jeune femme vise une qualification pour les Jeux olympiques de Paris 2024. Dans sa quête, elle bénéficie du soutien des Garages Hotz SA qui lui ont notamment mis à disposition un véhicule, une remorque ainsi qu’un cheval de compétition. Le Courrier suivra son épopée vers la gloire olympique à travers une chronique régulière au plus près de la « Team Espina ».
Lors du premier article, nous avons terminé en évoquant le grand tournant de la vie de la Vallonnière de 36 ans : son accident de moto. Rappelez-vous, Flore Espina se retrouvait sur un lit d’hôpital avec une fracture ouverte et l’équipe médicale en place se montrait particulièrement négligente – pour ne pas dire incompétente. En voulant réduire la fracture, une artère principale a été touchée sans que personne ne s’en rende compte et sa jambe n’était ainsi plus du tout irriguée. Nonobstant l’urgence de la situation, l’équipe a tout simplement relégué l’accidentée malmenée dans une chambre en situation d’attente. Forcément, elle s’est rapidement rendu compte que quelque chose n’allait pas mais les intervenants médicaux semblaient ne pas vouloir voir la réalité. Un immobilisme surréaliste étant donné la course contre la montre qui était en train de se jouer.
« Nous allons vous couper la jambe, pas sûr que vous allez survivre »
Au bout du deuxième jour, j’avais déjà tous les doigts de pied noirs et j’avais des douleurs atroces bien qu’ils me donnaient de la morphine. Je leur ai bien indiqué qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas mais il ne s’est rien passé jusqu’au huitième jour où ils m’ont transférée dans un autre hôpital. À priori, une machine médicale ne fonctionnait pas et il fallait que je change d’établissement pour pouvoir y avoir accès.
Après plus d’une semaine en « stand-by », il devenait évident que la prise en charge catastrophique du premier hôpital allait lui coûter sa jambe. La question se déplaçait peu à peu vers une interrogation plus radicale : cela allait-il lui coûter la vie ?
Quand je suis arrivée dans le second établissements, le verdict a été immédiat. Nous allons devoir vous couper la jambe et nous ne sommes pas sûrs que vous allez survivre. C’est ce qui m’a été dit.
Et pour cause, la gangrène avait eu le temps de gagner tout le corps et les bactéries s’étaient répandues dans tous les organes.
Un mois de soins intensifs et vingt et une entrées en salle d’opération sur cette même période, voilà ce qui l’attendait. Flore Espina n’avait plus le choix, elle devait mobiliser son petit truc en plus : son esprit de résilience !
La gangrène a continué d’avancer donc ils coupaient un bout de jambe supplémentaire à chaque fois. C’était dur à vivre. Il a fallu un mois et demi pour enfin stabiliser mon état. Heureusement, ils ont pu sauver le genou – très important dans le mécanisme de la marche – et je suis quand même là aujourd’hui pour vous en parler.
Malgré cette épreuve, la Vallonnière exilée ne regrette nullement d’être partie vivre en Espagne à 19 ans.
Les regrets sont inutiles et ne changeraient rien à mon histoire de toute façon.
Son histoire, la voici : le papa de la cavalière vallonnière est Espagnol et il a émigré en Suisse à l’âge de huit ans. Plus tard, il y a rencontré sa femme à Couvet. De leur union est née la jeune Flore qui s’est rapidement mise à faire du cheval.
Rencontre décisive avec « la dame allemande »
Je faisais plutôt du saut que du dressage et je me rappelle que je faisais l’Abbaye à cheval chaque année. Je me souviens aussi que nous passions toutes nos vacances dans le sud de l’Espagne à El Palmar dans la province de Cadix. C’est pour ça que j’ai voulu aller y habiter lorsque je suis devenue majeure. Depuis cet endroit qui se situe à quinze kilomètres de l’Afrique, nous voyons toutes les lumières du continent africain briller, c’est sublime.
Elle, c’est à cheval qu’elle souhaitait prendre la lumière et elle s’en est donné les moyens malgré son accident.
Après l’accident, j’ai rencontré une dame allemande qui m’a poussée à remonter à cheval. Même en béquilles, je l’aidais à nettoyer ses chevaux et ses boxes et en échange elle me donnait des cours. Ma réhabilitation personnelle est passée par là !
Alors que l’état de sa jambe était inquiétant et qu’elle était encore trop abîmée pour envisager y poser une prothèse, ces moments ont posé les bases de sa reconquête personnelle.
Physiquement et psychologiquement, c’est à travers ce retour aux sources que je me suis reconstruite.
Puis, une fois qu’elle a terminé ses études de vétérinaire, elle est passée à l’obstacle suivant.
Des prothèses hors de prix !
Une amie m’a remis en tête l’envie de compétition. Après une bonne première saison de reprise, l’équipe de Suisse m’a intégrée à son cadre et mon statut de « quasi professionnelle » me permet de me concentrer à 100% sur cette activité aujourd’hui.
Grâce au soutien des Garages Hotz SA, elle a pu choisir son cheval pour la première fois.
C’est principalement à moi de m’adapter à lui mais le cheval doit aussi apprendre à lire les informations que je lui donne. Ce choix était donc important.
Comme Flore Espina pèse moins lourd du côté de sa prothèse et qu’elle a plus de force avec sa jambe droite, son « compagnon de jeu » doit intégrer ces nouveaux éléments pour lui.
On indique plein de choses en déplaçant simplement le poids du corps d’un côté ou de l’autre,
précise-t-elle.
De son côté, la jeune femme a dû marcher durant dix ans avec une jambe en bois totalement inadaptée à ses activités sportives.
Une prothèse basique coûte 8000 euros minimum et la sécurité sociale espagnole prend en charge 1800 euros maximum par année pour ce besoin. Je n’avais pas d’autre choix que de faire avec.
Résilience, résilience,… Aujourd’hui, un sponsor lui permet d’avoir trois prothèses adaptées (à l’eau, à l’équitation et aux autres sports), ce qui lui offre enfin un peu de répit après ces dernières années éprouvantes. Et après tout ça, la Vallonnière et son « petit truc en plus » sont fin prêts pour rayonner jusqu’à l’Olympe ! Rien que ça !
Kevin Vaucher