Une matinée au marché de Fleurier
Nous sommes vendredi matin, le jour vient de se lever sur Fleurier. Et… miracle : le soleil brille enfin après des jours et des jours de pluie. Tout le Vallon revit et les gens ont envie de sortir. Ce matin-là, beaucoup se sont donné rendez-vous au marché du village. C’est l’un des derniers endroits où les gens prennent le temps de vivre, de se rencontrer, de parler directement avec les artisans. Bientôt, la place grouille de monde et un joyeux brouhaha résonne. Les stocks se vident en même temps que les cœurs se chauffent et que les cabas se remplissent. Le Courrier a vécu dans ce microcosme le temps d’une matinée. Récit !
Lorsque quelqu’un entre sur la place du Marché de Fleurier, un vendredi matin, il sort de la frénésie quotidienne pour entrer dans un autre monde. Un monde dans lequel règne une bonne odeur de produits frais. Un monde dans lequel les gens prennent le temps de se saluer et de tailler le bout de gras. Un monde aussi où la saveur d’un échange avec les commerçants vaut au moins autant que le goût d’un bon pain, d’un fromage savoureux, de légumes frais, d’une pièce de viande ou d’un poisson du lac. Dans ce monde-là, certains tiennent les rôles principaux pendant que d’autres préfèrent œuvrer dans l’ombre. Voyons cela de plus près et débutons notre petit tour du marché.
Didier, la star du marché de Fleurier
La star de ce monde n’est autre que le fleuriste Didier Sollberger et ses 50 ans de présence au marché de Fleurier. Nous sommes en juin, les plantons viennent d’arriver et son stand est littéralement pris d’assaut. Il est aidé par sa nièce pour l’occasion. Lui, c’est avec son papa qu’il a fait ses débuts dans le métier. « J’ai débuté avec lui dans les années 1960 et je travaille aujourd’hui avec mon frère. Nous avons tous les deux suivis l’école d’horticulture avec maîtrise fédérale », nous adresse-t-il entre deux clients. Un peu plus loin, la boulangère Dos Santos est venue de Sainte-Croix avec une grande variété de pains et des pâtisseries. Le soleil commence à cogner et elle replace ses pièces en vitrine afin de les protéger de ses rayons. Ce vendredi matin, elle a été tout simplement dévalisée. Il ne lui reste déjà presque que des miettes alors que midi est encore loin. Brigitte, une habituée, repartira sans la baguette aux olives qu’elle était venue chercher. Mais pas de quoi la chagriner, elle jette son dévolu sur 500 grammes de pain blanc. À une extrémité du lieu, Peter et son épouse enchaînent les allers et retours entre la balance et les caisses de légumes frais.
Ça taquine fort du côté de chez Rota
L’accent de monsieur vaut à lui seul une garantie de provenance de ses produits « Nous venons de Gampelen depuis une dizaine d’années », balaie-t-il avec un bob solidement vissé sur la tête. «Aujourd’hui, ce sont les fraises qui partent le plus facilement», dit-il pendant qu’une cliente glisse une deuxième barquette sur la balance. Quelques mètres plus loin, le même bouillonnement agite la camionnette du boucher Nicola Rota. Le Fleurisan aime échanger avec ses clients et les taquiner de temps en temps. « Vous êtes venue avec votre chien Madame Jeanneret. Il ne me tire pas la langue aujourd’hui ? » Non, c’est à moi qu’il a décidé de le faire aujourd’hui. Au pied de la dame, un tout petit chien s’amuse effectivement à me regarder en tirant la langue depuis quelques minutes. La bonne humeur semble contagieuse. Même les animaux s’y mettent. « Pour la viande, le rythme de vente suit une logique toute particulière », prévient Nicola Rota.
Rencontre avec « Monsieur bouillon »
« De 8 heures à 11 heures, ce sont essentiellement les retraités et les mères au foyer qui viennent au marché. On peut prendre le temps de les servir et de discuter avec eux. Mais dans la dernière heure, on a beaucoup d’actifs qui viennent chercher le repas et il faut plutôt privilégier la rapidité de service que les échanges. » On approche justement la barrière fatidique des 11 heures alors je le laisse continuer à travailler. Intéressons-nous maintenant à Wilfred. À qui ? à Monsieur bouillon si vous préférez ! C’est comme ça que le représentant de la maison Oswald est appelé par une partie de sa clientèle. Il vend des bouillons, des épices, des bases de sauces et une multitude d’autres produits pour la cuisine depuis 9 ans. « Je suis présent sur le marché une fois par mois car ce sont des produits dont on a pas besoin chaque semaine. C’est un complément au travail de porte-à-porte que je fais le reste du temps pour proposer mes produits à la vente. » Cet ancien cuisinier profite de son expérience passée dans la cuisine pour donner quelques conseils de préparation à ses clients. Il lui arrive également d’apporter un repas complet à domicile pour des groupes jusqu’à dix personnes.
Chez Giorgio, la vita è bella !
« C’est une façon moderne de présenter notre gamme et c’est très apprécié généralement. » Plus loin encore, nous tombons sur Evan, un sacré aventurier. Chaque année, il part en Alaska pour aller pêcher le saumon plusieurs semaines. Il en revient avec deux tonnes de poisson, conservé dans des containers maritimes réfrigérés. « Je vis de cette pêche et j’agrémente mon offre de poisson du lac », détaille le « petit nouveau » qui est arrivé à la place du Marché de Fleurier il y a un mois seulement. C’est sa copine vallonnière qui lui a soumis cette idée. Notre petit tour se termine devant les produits italiens de Giorgio. Autant prévenir tout de suite, il n’y a qu’un seul rythme qui compte avec lui, c’est le sien. Il vaut mieux avoir un peu de temps devant soi lorsqu’on s’approche de son étal. « Je compte environ 45 minutes depuis le temps que j’arrive jusqu’à ce que je reparte », lance une cliente en rigolant. Une exagération un peu italienne pour le coup ? En tout cas, Giorgio est bien connu et apprécié de tous. Il est présent depuis 13 ans et il considère ses clients comme des amis. « J’adore discuter avec eux. C’est une sorte de thérapie. J’aime tellement ça que je me déplace sur sept marchés différents chaque semaine. Je n’ai pas de magasin donc je ne pratique que ce type de vente », rapporte cet ancien fromager. Cet univers est décidément captivant dans chacun de ses recoins. Mais au final, il est bientôt midi et je n’ai toujours rien dans le panier. Mais dans quel monde vit-on ?
Kevin Vaucher.