Suite de l’article paru le 14 janvier
Une vie neuchâteloise de Jacques-André Steudler
À l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de Lermite, 1920 – 2020, nous avons publié, en fin d’année, les témoignages de personnalités qui l’ont côtoyé. Ici nous reprenons quelques souvenirs personnels de Jacques-André Steudler publiés dans son livre Une vie neuchâteloise.
– Ohé !
Rien.
– Hou-hou !
Rien. Mademoiselle Rosselet ! Ohé ! Mademoiselle !
Rien ! Nous nous concertâmes. Vaguement étonnés.
De fil en aiguille, ou plutôt de porte en porte, nous arrivâmes dans la chambre rangée où trônait le fameux poêle et où, écroulée dans un fauteuil, Mlle Rosselet avait l’air de somnoler. Lermite sursauta :
– Beaucoup trop chaud ! Ouvre une fenêtre, sapristi !
J’obéis sans quitter des yeux notre électrice.
– Elle n’a pas très bonne façon !
Le peintre ne s’émut pas trop :
– Attends, elle respire, tout juste !
Il prit une grande décision :
– Je vais lui faire des pinçons. à réveiller un mort pardi !
Les pinçons n’eurent aucun effet.
– Écoute, il faut l’étendre dans son lit et prévenir illico le médecin.
Lermite acquiesça. D’un bond, je prévins Mme Giroud, la voisine, qui téléphona au toubib. Rapidement, je revins sur le lieu du drame où Lermite satisfait, avait découvert la chambre à coucher.
Un grand lit carré à courtepointe, édredon, couvre-lit en dentelle et grands pompons. Aux murs, des versets de première communion et sur la fenêtre, un géranium, qui se préparait à reprendre vie.
Sans nous attarder à ces détails futiles, nous découvrîmes le grand lit et revînmes au chevet de notre malade. Lermite s’exprima :
– Toi, tu es le plus costaud, tu la harponnes sous les jambes et moi sous les bras : méfie-toi, c’est lourd. Et puis, en avant, direction le lit !
À hue et à dia, ce programme s’exécuta. Comme le relief du sol nous était inconnu, que la demoiselle, plus morte que vive, s’avéra bougrement lourde en cet étrange voyage, l’un des deux s’entrava sur une couenne de petite marche, un seuil qui séparait les deux chambres. Tout au zèle de notre mission providentielle, l’un retint aussi vigoureusement que l’autre ne poussa le convoi.
Nos contradictions tactiques comprimèrent la malheureuse comme un vulgaire accordéon, et ce que les pinçons lermitiens n’avaient pu faire se produit !
Mlle Rosselet ressuscita et hurla :
– Ah ! Nom de Dieu ! Les brigands !
Comment nous atteignîmes le lit, installâmes la malade, saluâmes voisins, docteur et parents accourus, quittâmes les lieux sans oublier l’enveloppe de vote avec un bulletin vert, compact bien apparent, restera toujours un mystère.
Le fou rire nous secouait à un tel point, Lermite et moi, que les pisse-vinaigres du bureau chuchotaient avec réprobation :
« Ils sont pleins comme des cochons ! »
Fin