La vie au Vallon
Vittorina Rota Bolis: une vie pleine d’amour de la vie !
« Il n’y a pas d’autre amour que celui qui consiste à donner sa vie pour ceux qu’on aime ! » Hervé Bazin
Carte d’identité
Carte d’identité
Nom: Rota Bolis
Prénom: Vittorina
Née le: 18 décembre 1930, à Paladina – Province de Bergame
État civil: Veuve d’Umberto et maman de Lino, Mario et Duilio – Grand-mère de 5 petits-enfants et de 5 arrière-petits-enfants
Profession: Mère au foyer
Domicile: Boveresse
Dans la vie, il ne faut jamais rien lâcher car demain ça ira mieux !
Ainsi, Vittorina Rota conclut-elle ce magnifique entretien ! Comme elle l’a commencé… Avec çà et là, quelques larmes d’émotion, jamais de tristesse ni de nostalgie ! Une leçon de vie, un récital d’amour reçu et donné. Du haut de ses plus de 90 ans, Vittorina Rota déroule le fil de sa vie, avec une précision extraordinaire, grâce à une mémoire infaillible.
Vous pensez vraiment que j’ose raconter ma vie !
lance-t-elle une dernière fois avant de débuter sa grande et belle histoire…
Une enfance heureuse
Une enfance heureuse
Née à Paladina, au nord de la Province de Bergame, Vittorina Bolis évoque ses six sœurs, son frère et ses parents.
Toute petite, à l’âge de 3 ans environ, nous avons déménagé à Zogno, dans le Val Brembana ! Notre père était maçon et ma mère travaillait dans une fabrique de textiles !
La famille résidait sur le bord de la « provinciale » avant de déménager un peu plus haut :
On jouait avec rien ! à Noël, pas de cadeaux, on recevait des mandarines. On n’a jamais manqué de rien tant nos parents nous donnaient d’amour. Oui, j’ai eu de bons parents ! On était toujours plus de douze à table…
Vittorina a neuf ans lorsque la guerre éclate. Elle se souvient d’une anecdote :
Pendant la guerre, mon père transportait des châtaignes avec son vélo, pour les familles en campagne. Vingt-cinq kilos devant, vingt-cinq kilos derrière. Il fallait se méfier parce que les Allemands nous guettaient. J’accompagnais mon père, je connaissais donc tous les petits chemins à emprunter sans se faire voir. Un jour j’ai dû faire le parcours toute seule… Du courage mais de la peur, je m’en souviens comme si c’était hier !
En classe jusqu’à 14 ans, Vittorina rejoint l’usine dans laquelle œuvre sa mère afin d’y confectionner des bobines de fil alors que sa mère travaillait au métier à tisser.
À la maison, j’ai toujours obéi, j’étais une fille facile, d’accord avec tout. Alors, lorsque mes parents m’ont dit que je pouvais partir travailler en Suisse, j’ai obéi aussi !
L’arrivée à Couvet
L’arrivée à Couvet
1950, Vittorina avait reçu son contrat d’embauche chez Bourquin – Bourquin « paillons » – et son billet de train :
On était quatre de Zogno ! Je ne connaissais personne. à Couvet, on nous attendait à la gare. On nous avait préparé une chambre, dans une maison, sous le viaduc. Nous étions deux par chambre et nous avions une cuisine. Je me plaisais mais j’avais l’ennui… Je pliais les cartons. Un jour, le patron est venu nous observer. Il tournait autour de ma machine et je me demandais ce que je ne faisais pas bien. Mais c’était pour me demander si je voulais bien travailler comme femme de ménage dans la famille !
En 1951, la Migros ouvrait un magasin à Couvet. Vittorina allait y faire les courses. Le samedi, les Italiens se réunissaient sur le pont pour regarder les gens passer :
J’ai entendu parler le bergamasque… C’était Umberto, on s’est connus ainsi. Lui travaillait dans l’entreprise Codoni. Une année durant, on se voyait en copains. Puis, voyant que ses chemises blanches n’étaient pas bien lavées ni bien repassées, je lui ai proposé de le faire. Pour me remercier, il m’a payé le cinéma ! Il adorait danser, moi pas trop… Au Montagnard !
En juillet 52, c’est le mariage :
On était quatre, nous et les témoins, à l’église de Couvet ! Au printemps, je suis retournée en Italie pour présenter mon futur mari à mes parents !
Avec, pour seul logement, un galetas de la rue Saint-Gervais, une chambre et une cuisine dans le corridor…
Mes parents sont venus d’Italie en Vespa, avec cinq kilos de riz comme cadeau de mariage ! On est allé manger des côtelettes et des frites au Buffet de la Gare ! C’était la belle époque, avec rien on était contents… ».
La famille
La famille
Repartie vivre en Italie, la famille s’agrandit avec la naissance de Lino, en 1953, puis celle de Mario un an plus tard. Retour en Suisse, Umberto ayant trouvé du travail chez Willy Stauffer, la famille emménage à Boveresse chez Moratelle :
Umberto s’achète alors un vélo et peut rentrer à midi pour manger !
À cette époque, seul le dimanche était congé, la famille l’occupe en faisant le bois pour chauffer :
Il avait un caractère fort, il commandait beaucoup mais cela ne me gênait pas !
En 1959, naissance de Duilio et déménagement dans un plus grand appartement, toujours à Boveresse.
Ce n’est qu’en 1974, lorsque l’on a eu les sous, que l’on a acheté une voiture !
Aujourd’hui
Aujourd’hui…
Dans la journée, il y a toujours quelque chose à faire ! Le soir je vais au lit… Alors pourquoi payer pour une télévision ? Depuis le décès de mon mari, plus de télé… Je fais mon jardin, je vais aux champignons et je fais mes commissions en vélo. L’autre jour, je suis allée jusqu’à Travers… Je ne suis pas vraiment pour la voiture !
Elle ajoute enfin :
Tous les jours, mes fils passent me voir ! Le respect de leur mère, quel plus beau cadeau pour moi !
Dans quelques jours, Vittorina partira pour l’Italie pour revoir les siens :
Oh, deux mois sans doute, en un mois je n’aurai pas le temps de tout faire !
Une vie d’émigré
Une vie d’émigré
Quitter son pays, ses parents et sa famille à vingt ans pour s’en aller gagner sa vie et celle des siens… Tel est le quotidien de nombreux émigrés. Dans les années 50, la Suisse devient la terre d’accueil de milliers de travailleurs de la région de Bergame ! Plongée toute seule dans un pays dont on ignore tout, à commencer par la langue.
Envoyer une large part de son salaire au pays, se marier, vivre dans des appartements dont on ne voudrait plus aujourd’hui, élever ses enfants, assurer le quotidien… Subir les foudres de quelques citoyens en mal d’humanisme. Tout cela sans jamais rechigner, au contraire, en se réjouissant de cette vie au service des autres. Une vie d’amour des siens, du travail bien fait… Une vie de dévotion ! Une vie de belles récompenses également ! Des patrons humains, aimables, attentifs à autrui, des voisins admiratifs et, enfin et surtout, des enfants respectueux de tout ce que cette mère leur a donné. Pour la vie !
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Les années « Schwarzenbach »
Des années difficiles, pour mon mari surtout !
lance Vittorina en souriant.
C’était souvent la bagarre au café à Boveresse ou au Cercle à Couvet, les gendarmes venaient ensuite à la maison avec une amende de Fr. 50.- car ils faisaient trop de bruit… Cinquante francs de foutu !
Le souci de Vittorina : est-ce que les enfants se conduisent correctement à l’école ?
À la maison, ils étaient turbulents. Je me suis dit : mon Dieu, s’ils sont comme ça à l’école ! Après bien des hésitations, j’ai pris du courage et je suis allée à la rencontre des Breneisen – le couple d’enseignants d’alors – pour savoir comment ils se comportaient. Ils m’ont rassurée, me disant que mes enfants étaient même plus sages que bien des « nôtres »… J’ai tout fait pour eux, je me suis donné une peine du diable, tous leurs vêtements et j’ai même confectionné leurs sacs d’école !
Regards extérieurs
Regards extérieurs
Tous les regards convergent pour exprimer la même admiration devant Vittorina :
Une femme d’un autre temps, simple, travailleuse, disponible pour tous, proche de la nature ! Parfois, on retrouve un bouquet d’herbes sauvages, toutes propres, derrière la porte, c’est Vittorina qui est passée !
Ainsi s’exprime Antonia Locatelli de Fleurier.
Son mari était le chef de mon mari. Ils étaient invités à notre mariage en 1962, en Italie. On a fait alors notre voyage de noces au Vallon, c’était la première fois que je venais en Suisse.
Même discours de la part de Pierina Michel, de Boveresse :
On est de la même région, je la connais depuis toujours. Simple, honnête, ouverte à plein de choses, immensément dévouée à sa famille, elle a toujours peur de déranger. Elle ne veut dépendre que d’elle ! Une vie d’émigrée…
À Boveresse, tout le monde connaît Vittorina et se montre admiratif devant cette femme qui monte la route avec son vélo, un panier sur le porte-bagage. C’est ainsi que Mme Dumont s’exprime encore.