Voutilainen 1er recoiffe le Vallon
Certains hommes ont marqué leur époque et fait briller leur nation par leur bravoure militaire. D’autres ont atteint l’excellence et font resplendir leur région dans le monde entier par leur art. Peut-être n’y a-t-il donc aucun hasard si Kari Voutilainen a niché son entreprise horlogère renommée au Chapeau de Napoléon en mai de cette année. Parti de rien ou presque, l’homme venu de Finlande s’est fait tout seul à la force de ses poignets et à la précision de ses mains. En coiffant le mythique chapeau, Voutilainen s’est fait empereur en même temps que représentant du savoir-faire vallonnier à l’étranger.
En arrivant dans la salle réservée aux clients de l’entreprise – qui fut aussi la salle à manger de l’ancien restaurant –, la vue est époustouflante. Sur la table, devant moi, le spectacle vaut le détour lui aussi. Cinq modèles uniques me sont présentés juste avant d’être expédiés à leurs propriétaires. Ceux-ci font partie de la soixantaine d’heureux clients servis chaque année par l’horloger d’art Kari Voutilainen. Une rareté recherchée qui a un coût. C’est 75’000 francs minimum pour une pièce standard et plus cher pour chaque demande supplémentaire. En effet, la majorité des clients personnalisent leur montre grâce aux compositions infinies que sont capables de réaliser la trentaine d’employés du site. Des hommes et des femmes à la hauteur de la tâche et souvent résidents du Val-de-Travers. « C’est important pour moi de travailler au maximum avec les forces de la région. Quand je peux engager local, je le fais », déploie l’horloger qui habite Môtiers.
Visiteurs aisés attirés au Val-de-Travers
Lorsqu’il a racheté le bâtiment et qu’il a fallu trouver des entreprises pour transformer l’ancien restaurant en entreprise d’horlogerie, Kari Voutilainen a aussi joué la carte régionale. Cela a représenté cinq mois de travaux et des milliers d’heures pour les artisans vallonniers. Et depuis qu’il a vue imprenable sur le Val-de-Travers, les clients se succèdent à fréquence régulière, non pas à son chevet mais sur « son Chapeau ». « Nous avons deux ans de commandes assurées. Nous pourrions facilement produire plus que quelques dizaines de modèles par année mais je tiens à garder ce rythme qui nous permet de tout faire à la main. Vous savez, une entreprise comme Rolex c’est peut-être un million de montres vendues par année avec 7000 à 8000 employés. Nous c’est environ soixante montres pour une trentaine d’employés. » Autrement dit, c’est la différence entre l’industrialisation et l’artisanat. Tout ce temps passé sur chaque montre est gage de qualité et d’unicité pour les clients.
C’est aussi une belle carte de visite pour le Vallon. « Nous ne travaillons pas avec des stocks. Donc les clients nous contactent par mail ou téléphone pour nous exprimer leur envie puis on échange longuement pour aboutir à un projet concret. Au bout du processus, la plupart viennent directement ici. Que pensez-vous qu’ils vont ensuite raconter à ceux qui vont les questionner sur leur montre ? C’est une petite entreprise avec une vue incroyable sur une belle région, on doit passer par des routes improbables pour arriver jusque là-haut et ainsi de suite. Sans oublier qu’une fois qu’ils ont passé à l’entreprise, ils restent un moment ici et font marcher les commerces et les restaurants. C’est vraiment que du bonus pour tout le monde. » États-Unis, Asie et Moyen-Orient sont les principales zones géographiques d’où arrivent les acheteurs.
Barrières installées à la suite d’excès
Plus proche de nous, certaines voix se sont élevées ces dernières semaines pour reprocher la privatisation de ce lieu hautement représentatif de la région. Ont-elles été entendues sur les hauteurs du Vallon ?
Bien sûr que nous avons eu vent des remarques à la suite de notre installation mais cet endroit est en réalité privatisé depuis 1894. Comme nous savons que c’est un lieu apprécié pour les promenades et le sport, nous avons laissé exprès un passage pour que tout le monde puisse continuer à en profiter pleinement. Nous avons donc ouvert une partie de notre terrain au public et nous avions même laissé un accès total au départ. Malheureusement, nous avons rapidement dû planter des barrières à l’entrée du parking à cause du comportement inapproprié de certains.
Camping sauvage sur le parking, réunion de personnes alcoolisées, cannettes de bières abandonnées et prises de photos insistantes à même les vitres des ateliers sont autant d’excès d’une minorité qui ont conduit à cette mesure. Un passage reste cependant ouvert aux promeneurs et sportifs. Dans le fond, outre cette mesure de protection contrainte, que reproche-t-on réellement à l’entreprise horlogère ?
Je ne vois pas ce que nous pourrions faire de faux. Le Chapeau de Napoléon est resté plus de cinq ans sans vie avant qu’on s’y établisse. Était-ce mieux comme ça ? Était-ce une bonne vitrine pour le tourisme ? Ou alors vaut-il mieux qu’une marque active sur le plan international apporte un nouveau rayonnement positif et bénéfique pour le Val-de-Travers ? Personnellement, je suis comme tout le monde et je veux le bien de ma région.
L’homme est sensible au fait de tous tirer à la même corde et ce n’est pas une solution que de tirer sur les éléments les plus en vue. Napoléon n’a jamais gagné une bataille seul ! Et le « nouvel empereur » Kari Voutilainen a franchi les étapes sans passe-droit. Le Finlandais est arrivé au Vallon en 1990 et il a travaillé neuf ans chez Parmigiani avant d’enseigner l’horlogerie trois ans et de devenir indépendant en 2002. Avant d’aller se percher où il est aujourd’hui pour des questions d’espaces, il a installé ses ateliers à différents endroits de Môtiers. Voutilainen 1er a conquis terrains, clients et renommée prestigieuse année après année et combat après combat.
Kevin Vaucher
Composants qui descendent et remontent la colline
L’entreprise Voutilainen ne se résume pas à la trentaine d’employés du Chapeau de Napoléon. Il y a encore vingt autres salariés répartis entre Saint-Sulpice (en bas) et Saignelégier.
Les ateliers mécaniques sont au cœur de Saint-Sulpice donc les cadrans et les différents composants sont « descendus » au village avant d’être « renvoyés » en haut de la colline. Dans le Jura, ce sont les boîtes de montres qui sont montées.
C’était devenu important de pouvoir agrandir pour que tout continue de rouler. Nous avions besoin de place et la pandémie m’a réveillé,
étaie Kari Voutilainen.
Il fallait tout d’un coup absolument se distancier les uns des autres et j’ai dû m’activer pour trouver quelque chose rapidement. Aujourd’hui, on a vraiment l’impression que cet endroit au Chapeau de Napoléon était fait pour nous et je rappelle que nous n’avons rien détruit, on l’a simplement transformé en gardant l’esprit de la construction d’origine.
Plusieurs centaines de mètres carrés répartis principalement sur trois étages ont été investis.
En bas, il y a l’atelier de guillochage et de décoration. La poignée de machines utilisées ont toutes plus de cent ans. En haut, il y a les concepteurs qui travaillent sur ordinateur sous la charpente. Et à l’étage intermédiaire, c’est l’endroit des ateliers et la salle d’accueil client.
Niveau travail, le chef môtisan-finlandais donne l’exemple en s’activant six à sept jours par semaine et une douzaine d’heures quotidiennement.
C’est un choix de vie que j’ai fait lorsque je suis venu suivre une formation au centre de perfectionnement horloger (WOSTEP) à Neuchâtel en 1988 et 1989. Et en tant qu’indépendant, je m’engage nécessairement totalement aujourd’hui.
Faut croire que c’est un choix gagnant au regard des différents prix remportés par les montres Voutilainen ces dernières années. Notamment le Prix de la montre homme avec le modèle « 28SC » lors du Grand Prix d’horlogerie de Genève 2020. Et ça, ça vaut bien un coup de chapeau !